Code Red de Steve Buist : un journalisme révolutionnaire grâce aux SIG
Steve Buist est rédacteur de la section des enquêtes du journal The Hamilton Spectator. Comme il détient un diplôme universitaire en biologie humaine, il indique aborder ses histoires « comme un scientifique le ferait ». Beaucoup de journalistes passent les faits en revue, à la recherche de ce qu’ils croient être une histoire. Steve, quant à lui, dit préférer « recueillir l’information et l’analyser ». Se décrivant comme le scientifique de l’équipe journalistique, il dit qu’on fait généralement appel à lui lorsqu’on a besoin de quelqu’un pour déterminer les statistiques de quelque chose.
Dans une pièce remplie de gens de mots et d’images, il est un des rares à être plus heureux lorsqu’il y a des chiffres. Il n’a pas été surpris lorsqu’on lui a demandé d’écrire un article sur les essais environnementaux. C’était en 2006.
Les rédacteurs en chef voulaient un article traitant des risques sur la santé des essais sur les sols, l’eau et l’air. Steve leur a indiqué que cela prendrait beaucoup de temps et d’argent, et il a plutôt suggéré de procéder comme les scientifiques en inversant la perspective, soit de prendre les informations du bas vers le haut. Plutôt que d’examiner des facteurs environnementaux spécifiques connus pour avoir une incidence sur la santé, il a proposé de « voir comment la santé des gens est affectée par leur quartier ». Ce qu’il suggérait, c’était d’examiner la relation entre les facteurs sociaux et la santé des gens, et l’histoire importante qui en ressortirait. Les rédacteurs en chef ont accepté. Cette histoire de santé géoréférencée s’est révélée si significative qu’elle est devenue le plus grand projet journalistique de la carrière de Steve Buist.
Code Red, l’histoire qui en découle, a eu un grand impact sur bien plus que seulement sur la carrière du journaliste. En fournissant des données sur les problèmes de pauvreté et de santé au gouvernement et aux organismes, son récit a « mobilisé les organismes pour aider les personnes dans le besoin et ces problèmes sont devenus des enjeux clés lors des élections municipales. La série d’articles a retenu l’attention à l’internationale et a été intégrée au programme d’un certain nombre de cours universitaires », comme indiqué dans sa nomination pour le prestigieux Prix Michener, qui célèbre le journalisme professionnel ayant un impact sur le public et des avantages désintéressés pour le bien commun.
Comment s’y est-il pris? Ce n’était pas facile, mais écrire une bonne histoire ne l’est jamais.
Il devait d’abord trouver des données sur les facteurs sociaux qui ont une influence sur la santé. Cela s’est avéré très difficile. Divers organismes ont rejeté sa demande en invoquant la confidentialité des renseignements médicaux.
Lors d’une de ses visites à la McMaster University, on lui a conseillé de parler à Neil Johnston, qui s’intéresse aussi aux données sur la santé. C’était un conseil en or – les deux hommes ont créé un lien professionnel qui a duré une décennie.
Neil Johnston est épidémiologiste. Pendant ses années à la McMaster University, il a fondé l’Ontario Physician Human Resources Data Centre, un projet collaboratif entre l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, l’Ontario Medical Association et le Council of Ontario Faculties of Medicine. Il s’agit de la source d’information par excellence sur la pratique des médecins et la formation médicale postdoctorale en Ontario. Neil Johnston avait accès aux données qui allaient former le récit primé de Steve Buist.
Neil a présenté Steve à Patrick DeLuca, l’expert en SIG de l’université. Ce dernier, maintenant codirecteur du centre d’excellence en SIG d’Esri Canada à la même université, enseigne les SIG à des étudiants de divers programmes. Il n’a donc aucun problème à travailler avec des personnes qui n’ont aucune formation en SIG. Lorsqu’il a entendu parler du projet de Steve, il voyait là une très belle occasion. Il lui a offert de l’aider, et de le faire gratuitement. « J’habite à Hamilton depuis toujours et je souhaitais redonner à ma communauté », précise-t-il. L’expertise de Patrick en analyse géospatiale et statistique était tout indiquée pour la création du récit géoréférencé Code Red.
Steve a fait appel aux services de santé et utilisé des dossiers scolaires et des données socio-économiques provenant de divers quartiers de Hamilton pour créer le profil des facteurs qui influent sur la santé des gens. Il a fallu des mois pour recueillir toute l’information. Même alors, les statistiques – fondées sur 140 secteurs de recensement – étaient difficiles à interpréter. Le journaliste dit que « les résultats étaient frappants », mais qu’ils n’étaient pas évidents à comprendre pour le commun des mortels. Il s’est alors tourné vers Patrick DeLuca.
Tous deux savaient que l’impact de ces renseignements devait être cartographié pour être compris efficacement, mais il était difficile au départ d’y voir une tendance importante. Patrick a suggéré d’afficher les données sur des cartes à quintiles pour qu’elles soient plus faciles à comprendre et à lire. Les cartes à quintiles ont été créées en triant les secteurs de recensement selon une valeur donnée, de la plus faible à la plus élevée, puis en les regroupant en quantiles de 20 %, ou 5 groupes de 28 secteurs de recensement. Le premier quantile représente le cinquième inférieur des 140 secteurs de recensement, tandis que le dernier représente le cinquième supérieur. Ils ont ensuite appliqué une couleur aux secteurs de recensement sur la carte en fonction de ces quintiles : vert pour les valeurs positives et rouge pour les valeurs négatives. Cela a révélé ce que Steve appelle « l’effet beigne ».
Les banlieues plus aisées de Hamilton, où les gens n’ont pas besoin d’avoir accès aux soins de santé aussi souvent étaient en vert, alors que les quartiers moins nantis, où vivent les personnes les plus pauvres et qui vont plus souvent à l’urgence et à la clinique, étaient en rouge. C’était très clair. La légende sous le titre Code Red a alors été créée : « L’endroit où vous vivez a une incidence sur votre santé. » Comme le dit Steve, « plus on est riche, plus on est en bonne santé ».
Code Red a établi le classement général des quartiers de Hamilton en fonction des scores cumulatifs pour 24 variables sanitaires, sociales et économiques.
Ce projet novateur de cartographie de la santé a mis au jour des disparités flagrantes entre les quartiers de Hamilton. La carte montre une différence de 21 ans de l’espérance de vie moyenne entre le quartier le plus riche et le quartier le plus pauvre.
Cela aura pris près de trois ans, mais lorsque le journal The Hamilton Spectator a publié la série Code Red sur sept jours en 2010, le récit a transformé les discussions sur les soins de santé. Il a remporté le Prix national du journalisme et a été finaliste pour le Prix Michener. Neil Johnston et Steve Buist ont remporté le Prix Hillman en 2011 récompensant le journalisme au service de la justice sociale et économique. Steve s’est vu décerner plus d’une fois le prix du journaliste de l’année à l’échelle nationale et provinciale. De cela ont également découlé deux articles dans des revues universitaires dont Patrick DeLuca était l’auteur principal.
Pourquoi cette série journalistique a-t-elle changé la donne?
Parce qu’elle intégrait beaucoup de facteurs sociaux dans les soins de santé. En présentant cette intégration sur une carte, les résultats étaient nets et clairs : la pauvreté détermine la santé des gens. On a demandé des mises à jour; une a été produite en 2019. C’était parfait pour voir si les choses avaient changé ou non. Les circonstances affectant la santé des gens n’ont toutefois pas beaucoup changé.
Code Red est devenu une marque pour le quotidien The Hamilton Spectator. Après la première histoire, Steve, Neil et Patrick ont récidivé, cette fois en se penchant sur les mères et les bébés : Born. Ils se sont ensuite attaqués aux taux de cancer avec The Cancer Project, qui a montré que vos chances de mourir du cancer varient selon l’endroit où vous habitez à Hamilton.
D’autres histoires ont également vu le jour, sans rapport à la santé. Un récit portait sur une rue qui était autrefois un moteur pour l’économie de Hamilton. Les auteurs ont présenté les changements qui se sont opérés sur une période de 60 ans. En montrant les changements qu’a connu cette rue (magasins qui ont ouvert ou fermé), on voyait l’histoire plus large des problèmes économiques de Hamilton.
Steve dit qu’il veut que les gens comprennent leur ville à un « niveau microgéographique et voient que ce n’est pas homogène » comme on le suggère souvent à propos des villes. Il ajoute : « la carte récit est un moyen assez simple de raconter une histoire ».
Patrick a fait la majeure partie de la cartographie de ses histoires et Steve dit qu’une fois qu’il a vraiment compris la composante narration, il a décidé d’apprendre le tout également. Il voulait alléger la charge de travail de Patrick, mais il pense aussi qu’un meilleur récit visuel est l’avenir de la presse écrite.
« L’industrie [journaux] a de la difficulté avec la présence en ligne, dit-il. Rendre l’histoire plus attrayante pour le lecteur signifie qu’il restera plus longtemps sur votre site et verra l’histoire d’une manière différente. »
Pour Steve Buist, une carte récit a réellement fait ressortir ses talents.
Apprenez-en davantage sur ArcGIS StoryMaps.
Ce billet a été écrit en anglais par Michael Leahy et peut être consulté ici.