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Visualiser les éléments de basculement pour mieux comprendre le changement climatique – partie 3

Des éléments clés du climat de la Terre, notamment les courants océaniques, les moussons tropicales et les nuages, risquent de franchir des seuils critiques (points de basculement) qui pourraient radicalement modifier le climat et les écosystèmes de la planète. Il est essentiel de comprendre et d’atténuer les risques associés à ces points de basculement climatiques pour préserver l’avenir de notre planète et garantir un monde durable pour les générations à venir.

Dans les deux précédents billets de blogue de cette série, nous avons parlé du déplacement des biomes et de la fonte des glaces, et de leur incidence sur le système climatique de la Terre s’ils franchissaient un certain seuil ou point de basculement. Dans ce billet, nous nous pencherons sur le dernier groupe d’éléments de basculement, à savoir les modifications des courants océaniques et atmosphériques, et sur la manière dont nous pourrions tirer profit de l’utilisation des SIG pour les surveiller et les étudier.

Représentation graphique des éléments de basculement potentiels liés aux modifications des courants dans le système climatique de la Terre. Il s’agit notamment de l’affaiblissement de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC), de la perturbation des moussons tropicales saisonnières en Afrique et en Inde, et de la dispersion des bancs de stratocumulus. La carte présente des emplacements hypothétiques de stratocumulus, représentés par des nuages blancs.

Éléments de basculement liés aux modifications des courants dans le système climatique de la Terre. AMOC est l’abréviation de « Atlantic Meridional Overturning Circulation » (circulation méridienne de retournement de l’Atlantique). Notez que les zones indiquant les stratocumulus correspondent à des emplacements hypothétiques aux fins de présentation visuelle.

Éléments de basculement liés à la modification des courants

Les éléments de basculement sont des composantes du système terrestre qui peuvent changer radicalement en réponse au changement climatique une fois qu’ils ont franchi certains seuils de réchauffement ou « points de basculement ». Les changements peuvent se produire soudainement en termes géologiques (moins de 20 ans) ou rapidement (quelques décennies), entraînant des conditions à long terme très différentes dans les écosystèmes terrestres et marins de la Terre. Dans les sections suivantes, nous discuterons des éléments de basculement liés aux modifications océaniques et atmosphériques.

1. Affaiblissement de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC) :

L’AMOC est la circulation thermohaline du bassin atlantique, parfois appelée « grand tapis roulant » de l’océan. C’est un moteur essentiel des courants océaniques, qui facilite le transfert de chaleur et d’eau douce en déplaçant l’eau chaude et salée de l’hémisphère sud et des régions tropicales vers l’hémisphère nord. Ce processus implique que les eaux de surface plus chaudes se déplacent près des côtes européennes, où elles libèrent de la chaleur et de l’eau douce dans l’atmosphère, augmentant ainsi la densité de l’eau. Le courant s’oriente ensuite vers l’ouest et, à l’approche du Groenland, l’eau est devenue suffisamment salée et froide pour s’enfoncer dans les profondeurs de l’océan, formant les eaux profondes de l’Atlantique Nord. Ces eaux profondes et plus froides refluent ensuite vers le sud et finissent par remonter à la surface dans les régions méridionales de l’Atlantique. Le système AMOC a contribué à maintenir la stabilité climatique de l’Europe pendant des millénaires. Par conséquent, un effondrement brutal de l’AMOC entraînerait des changements importants et immédiats dans les régimes climatiques et les cycles hydrologiques locaux.

Les reconstitutions fondées sur les données océanographiques révèlent que l’AMOC est actuellement plus faible qu’à l’ère préindustrielle (source). Les conséquences potentielles d’un effondrement de l’AMOC comprennent un déplacement vers le bas de la ceinture de pluie tropicale, une diminution de la force des moussons africaines et asiatiques et une intensification des moussons de l’hémisphère sud. En outre, un tel effondrement influencerait l’absorption et la distribution du carbone anthropique dans l’atmosphère, ce qui aurait des répercussions importantes sur le cycle du carbone et la productivité des océans. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) suggère, avec un degré moyen de fiabilité, un déclin probable de l’AMOC au cours de ce siècle, mais considère qu’un effondrement total est peu probable avant 2100. L’affaiblissement actuel et potentiel de l’AMOC, confirmé par des études récentes, souligne l’importance de cet élément de basculement climatique et les inquiétudes qu’il suscite à juste titre.

Vidéo de la circulation thermohaline mondiale, qui montre le mouvement des courants océaniques de surface et de profondeur autour du globe [source : Studio de visualisation scientifique de la NASA].

Il existe de nombreuses façons d’utiliser les SIG pour mieux comprendre l’état des océans. Par exemple, l’application Hycom Explorer vous permet d’explorer en temps quasi réel les données océanographiques mondiales HYCOM du ArcGIS Living Atlas of the World et de visualiser et de comparer la température, la hauteur de surface et la salinité de l’eau de mer, ainsi que les courants océaniques à différents moments et à différentes profondeurs. En outre, vous pouvez utiliser l’application 3D Ocean Explorer pour visualiser le volume des unités écologiques aquatiques, ainsi que les six variables océaniques (température, salinité, O2 dissous, nitrate, phosphate et silicate) qui servent à classer les masses d’eau océaniques dans ces unités écologiques aquatiques. La carte narrative suivante vous permettra d’en savoir plus sur les courants océaniques et leur influence sur notre planète.

2. Perturbation des moussons tropicales saisonnières :

Les précipitations saisonnières de la mousson tropicale constituent la principale source d’eau pour la quasi-totalité des régions tropicales. Elles jouent un rôle essentiel dans la détermination de la disponibilité de l’eau et de la productivité agricole pour des milliards de personnes dans de vastes régions couvrant l’Afrique, l’Asie, l’Amérique tropicale et l’Australie septentrionale. En outre, ces régions sont sujettes à des phénomènes météorologiques violents, notamment des précipitations intenses et des perturbations cycloniques au sein des vastes flux de masses d’air de la mousson, qui entraînent des inondations et des glissements de terrain dévastateurs qui menacent les vies et les biens. L’importante influence des moussons quant à la sécurité alimentaire, à l’approvisionnement en eau et aux risques de catastrophes naturelles a suscité des efforts de recherche à l’échelle mondiale visant à prévoir comment les régimes et les forces des moussons peuvent être modifiés en raison du changement climatique induit par les humains.

La circulation de la mousson, entraînée par le gradient de pression entre la terre et l’océan, est renforcée par l’humidité qu’elle transporte depuis les bassins océaniques adjacents. Par conséquent, tout facteur qui diminue ce gradient de pression d’entraînement risque de déstabiliser l’ensemble du système de mousson. Par exemple, un réchauffement prononcé des zones terrestres et de l’hémisphère nord amplifie généralement la mousson. Toutefois, l’augmentation de la réflectivité de la Terre (albédo) sur les continents, due aux émissions d’aérosols ou aux changements d’utilisation des sols, tend à la diminuer. Une analyse réalisée en 2021 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit que, selon les scénarios de réchauffement climatique, l’Afrique de l’Ouest devrait subir les réductions de précipitations les plus importantes au monde. Cette tendance serait aggravée par un affaiblissement ou un effondrement de l’AMOC, ce qui perturberait davantage le système de mousson africain et pourrait entraîner une grande sécheresse dans la région. En outre, un affaiblissement de l’AMOC compromettrait la mousson d’été indienne, augmentant ainsi le risque de sécheresse qui pourrait avoir de graves répercussions sur la production agricole indienne, en particulier sur les rendements en riz.

ArcGIS Living Atlas of the World contient de nombreux ensembles de données sur les précipitations, qui proviennent de satellites et de modèles et qui peuvent vous aider à étudier et à surveiller les tendances et les motifs mondiaux. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo suivante de la NASA, les modèles de précipitations et de vents peuvent nous aider à suivre les changements dans les moussons et leurs incidences d’une année et d’un endroit à l’autre. 

Cette visualisation utilise une combinaison de données satellitaires et de modèles de la NASA pour montrer comment et pourquoi la mousson se développe dans une région donnée [source : Studio de visualisation scientifique de la NASA].

3. Réchauffement attribuable à la dispersion des bancs de stratocumulus :

Les stratocumulus, nuages bas prévalents situés à moins de 2 000 mètres de la surface de la Terre, forment de vastes « bancs » qui couvrent environ 20 % des régions océaniques tropicales de la Terre. Ces nuages jouent un rôle crucial dans le refroidissement de la planète en réfléchissant la lumière du soleil vers l’espace, ce qui réduit la quantité de chaleur qui atteint la surface de la Terre. En raison des modes de formation et de dissipation à petite échelle des stratocumulus, les modèles climatiques mondiaux actuels peinent à prédire avec précision l’incidence de l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre sur ces nuages. Cependant, cette étude de 2019 suggère que dans des scénarios d’émissions élevées de CO2 (équivalant à 1 200 parties par million ou « ppm »), les stratocumulus pourraient se désintégrer en raison d’un mécanisme de rétroaction climatique, ce qui entraînerait une augmentation rapide de la température mondiale pouvant aller jusqu’à 8 °C. À ce jour, aucune recherche de suivi n’a exploré de façon soutenue ces résultats dans différentes conditions de modélisation. Des efforts supplémentaires sont donc nécessaires pour étudier en détail cette rétroaction climatique potentielle et mieux évaluer les conditions susceptibles de déclencher la désintégration de la couche nuageuse ou d’autres changements à grande échelle dans la formation des nuages.

Bandes de stratocumulus blancs. 

Couverture de stratocumulus blancs. L’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère pourrait disperser les stratocumulus et entraîner une augmentation rapide de la température mondiale.

Les SIG et les éléments de basculement

La technologie SIG s’avère un outil essentiel à utiliser pour répondre à une question importante : « Comment pouvons-nous nous adapter et atténuer les risques associés aux éléments de basculement comme le déplacement des biomes, la fonte des glaces et la modification des courants? » Les SIG fournissent un cadre d’intelligence de localisation et intègrent des données provenant de diverses sources comme les satellites, les drones et les modèles. Ils nous permettent donc de prendre des décisions éclairées, de mettre en œuvre des stratégies efficaces et de rendre notre planète plus durable pour les générations à venir.

Voici comment nous pourrions utiliser les SIG pour répondre aux effets de ces éléments de basculement.

1. Détection précoce et surveillance : Les SIG permettent de collecter et d’intégrer des données provenant de diverses sources, ce qui aide les chercheurs à repérer tôt les signaux d’alerte de points de basculement potentiels. En suivant l’évolution des températures, du niveau de la mer, de la perte d’habitat et d’autres indicateurs, nous pouvons surveiller les régions et les écosystèmes vulnérables afin d’évaluer le risque de franchissement de seuils critiques.

2. Analyse spatiale et allocation de ressources : La capacité à effectuer des analyses spatiales à l’aide des SIG est essentielle pour identifier les zones où l’effet des points de basculement est susceptible d’être le plus important. Cela permet de hiérarchiser les interventions et de s’assurer que les efforts et les investissements sont dirigés là où ils sont les plus bénéfiques, ce qui optimise l’utilisation des ressources disponibles et l’incidence des initiatives de conservation et d’adaptation.

3. Planification fondée sur des scénarios : Les SIG peuvent faciliter la planification fondée sur des scénarios en modélisant différents résultats obtenus de diverses interventions humaines. Cet outil de planification stratégique permet d’orienter la répartition des ressources vers les solutions les plus efficaces et les plus durables.

4. Sensibilisation du public : Les cartes représentent de puissants outils de communication d’informations environnementales complexes au grand public. Les SIG présentent ces informations dans des formats facilement accessibles et compréhensibles, tels que des tableaux de bord, des cartes narratives et des applications web. C’est ainsi qu’ils contribuent à sensibiliser à l’importance d’éviter les points de basculement et aux efforts de collaboration nécessaires pour les prévenir.

Il est donc clair que les spécialistes des SIG peuvent jouer un rôle crucial dans la création d’un avenir plus durable pour notre planète. J’aimerais conclure cette série de billets de blogue en partageant la vidéo suivante issue de l’édition 2024 de la Conférence SIG d’Esri consacrée aux administrations fédérales. Cette vidéo montre comment les SIG s’emploient de différentes manières pour créer le monde auquel nous aspirons.

Ce billet a été écrit en anglais par Mohamed Ahmed et peut être consulté ici.