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La veille géographique, une nouvelle nécessité pour les entreprises en temps de pandémie

Quand les choses vont bien, l’aspect géographique est un facteur important dans la prise de décisions. Dans le contexte de la COVID-19, c’est devenu essentiel : le changement est permanent.

Les intérêts et les actifs de la plupart des organisations, en particulier celles qui sont présentes à grande échelle un peu partout, varient considérablement en fonction du lieu. Qu’il s’agisse des habitudes de consommation des clients, des itinéraires d’expédition ou des conditions des bâtiments, les facteurs qui influent sur le sort d’une entreprise diffèrent en nature et en complexité d’un endroit à l’autre. 

Dans le meilleur des cas, il est déjà difficile de tenir compte de situations géographiques divergentes. Les entreprises ont besoin d’informations géographiques locales, régionales et internationales pour fonctionner. Mais avec la COVID-19, la demande d’informations à teneur géographique a atteint un tout autre niveau. 

Il suffit de regarder le nombre de détaillants, tels que Walmart, qui fournissent à leurs clients des informations quotidiennes sur les ouvertures et les fermetures de leurs magasins à des milliers d’endroits. Il faut beaucoup de coordination pour donner la bonne information à jour. À tout cela s’ajoute l’obligation de suivi des incidents qui pourraient survenir à tout moment. 

On doit alors en comprendre que les crises comme celle de la COVID-19 sont intrinsèquement régionales par nature et n’ont pas les mêmes conséquences sur les entreprises d’un endroit à l’autre. C’est ainsi que l’information géographique se trouve au cœur même de la réponse. 

Certaines entreprises se sont bien adaptées. Les restaurants Subway, par exemple, se sont tournés vers la vente de denrées alimentaires de base comme le pain et le fromage dans les quartiers où l’accès aux épiceries était limité ou dans lesquels les épiciers étaient aux prises avec des problèmes d’approvisionnement. Subway est ainsi venue en aide aux gens qui en avaient besoin et s’est prémunie contre le fléchissement de la demande qu’entraînent les restrictions imposées aux services de restauration. C’est un excellent exemple de réponse géographiquement adaptée. 

Starbucks a réagi vivement à la COVID-19 en donnant plus d’options de livraison pour toutes ses succursales. L’entreprise a très vite compris que les fermetures de magasins entraîneraient une forte augmentation des commandes de livraison et de ramassage. En sont ainsi ressortis des renseignements inestimables sur les clients qui préfèrent la livraison et le ramassage en fonction du lieu. En tant que chef de file dans le domaine de l’innovation numérique et de la géolocalisation, Starbucks a pu mettre à profit les renseignements recueillis et repositionner stratégiquement plusieurs succursales pour se concentrer en permanence et exclusivement sur le ramassage, le service au volant et la livraison en bordure de trottoir.

Des organisations mal équipées

Si toutes les entreprises répondaient aux crises en s’aidant de la veille géographique, nous serions en bien meilleure posture. Mais la triste vérité, c’est que plusieurs n’y songent même pas. 

En tant que consultant en gestion, je travaille au croisement de la veille géographique et de la stratégie commerciale. D’après mon expérience, on répond souvent aux crises en adoptant des solutions générales qui ne tiennent pas compte des variations régionales. C’est difficile de le manquer : on impose le télétravail pour tous, les mêmes règles pour le retour au travail, les mêmes restrictions pour le service à la clientèle. C’est quelque chose d’uniforme facile à mettre en œuvre. Mais lorsqu’il s’agit de crises régionales complexes comme celle de la COVID-19, la nuance nécessaire n’est pas là. 

Pourquoi tant de réponses ne comportent-elles pas de géolocalisation? Il est facile de mettre la faute sur le manque de données, mais je pense que tout se résume à quelque chose d’encore plus fondamental : l’absence de connaissances géographiques. Il n’y a pas assez de personnes qui savent comment traiter les ensembles de données spatiales et mener une analyse spatiale. En dehors de quelques spécialistes, la plupart des entreprises manquent tout simplement de savoir-faire géographique. 

La faute va en grande partie aux lacunes dans l’enseignement de la géographie, en particulier chez les professionnels de la gestion. Pendant une grande partie de la dernière décennie, la géographie a été reléguée au second plan par rapport aux autres disciplines, en particulier la visualisation des données et la science des données. Il en a résulté une augmentation du nombre de gestionnaires qui s’y connaissent en données et en analyse, mais incapables de faire des raisonnements spatiaux. 

Aujourd’hui, il existe des centaines de programmes de science des données rien qu’aux États-Unis et au Canada et d’innombrables cours de science des données en ligne, mais peu d’entre eux couvrent l’analyse spatiale en détail. Sans la géographie, la discipline des sciences des données produit des professionnels mal équipés pour traiter des problèmes intrinsèquement spatiaux. Il en résulte une sous-utilisation de la géographie dans l’analyse commerciale et la science des données associée à une trop fréquente négligence du « où », alors que la géographie est une composante fondamentale de la visualisation et de l’analyse des données. Comme il en est question dans l’article « The Importance of Spatial Thinking Now » (l’importance de la pensée spatiale aujourd’hui) écrit par Kirk Goldsberry et publié par Harvard Business Review en 2013 : 

« … [La] visualisation de données est une discipline émergente et importante, et la pensée spatiale – la géographie – est une compétence fondamentale si l’on veut bien visualiser les données. »

Si vous en voulez d’autres preuves, vous n’avez qu’à regarder comment les organisations investissent dans leurs capacités spatiales. Un sondage mené auprès de plus de 200 directeurs et cadres d’organisations canadiennes conclut que si plus de 80 % des organisations reconnaissent la pensée spatiale comme une capacité essentielle ou très importante, moins de la moitié se sont dotées de capacités allant au-delà de la production de cartes de base et de la gestion des données. Les capacités plus poussées et plus rentables à l’avenir telles que les analyses géospatiales descriptives et la surveillance géographique en temps réel ne sont l’apanage que d’un groupe sélect. Ce n’est pas un hasard si ce sont ces organisations qui tirent le mieux leur épingle du jeu.

L’analyse spatiale a remporté son lot d’importantes victoires dernièrement, à commencer par le tableau de bord cartographique créé par l’Université Johns Hopkins qui montre les cas de COVID-19 dans le monde entier par pays. Presque instantanément, il est devenu la source d’informations de facto sur les cas dans le monde et compte des milliards de visionnements, un succès qui s’explique en grande partie par son interface cartographique intuitive et la pertinence géographique de ses données.

Un récent article publié par la Data Visualization Society détaille le tableau de bord de Johns Hopkins et des dizaines d’autres visualisations de données de grande qualité produites par diverses entreprises et agences gouvernementales, dont la plupart ont des cartes au premier plan. Mais ce n’est pas autant un reflet de la réalité actuelle qu’un simple bon exemple de l’importance croissante de la pensée spatiale. Le potentiel de l’analyse géospatiale est énorme, mais n’est pas entièrement exploité. Pas encore.

Montrer l’exemple, une nécessité

Les dirigeants ne peuvent plus se permettre d’attendre. La COVID-19 ne sera pas la dernière crise de notre vie. Nouvelle pandémie ou cyberattaque, la mondialisation et la nature intégrée des entreprises sont telles que lorsqu’une partie de la société souffre, d’autres seront touchés. Les organisations ont la tâche ardue de mettre en place une capacité d’analyse géospatiale qui fournisse des informations pertinentes sur n’importe quelle partie de leurs activités, et rapidement et à l’échelle. Il faut envisager la veille géographique de façon globale.

La façon la plus simple de conceptualiser la veille géographique est de la considérer comme un mélange de personnes, de processus et de technologies. Imaginez un cercle concentrique composé de trois couches. Au centre se trouve la culture spatiale (les personnes), au milieu se trouvent les outils et les données (les technologies) et à l’extérieur se trouvent les facilitateurs organisationnels (les processus).

Les organisations qui perfectionnent leurs capacités spatiales se concentrent sur la culture et les technologies et intègrent l’aspect spatial dans les valeurs de leur entreprise.

  • Culture spatiale. La culture spatiale est la base de la veille géographique. L’objectif est d’ancrer la pensée spatiale dans le bagage cognitif du plus grand nombre d’employés possible, en particulier les cadres. Une formation de base en géographie est un bon point de départ. C’est là où on acquiert les concepts géographiques tels que la densité et l’échelle. L’analyse spatiale vient ensuite. C’est là où on agrémente le raisonnement spatial de concepts modernes d’analyse de données tels que la modélisation diagnostique et prédictive. L’objectif est de former des professionnels capables de déterminer non seulement quelque chose s’est passé, mais aussi pourquoi l’événement s’est produit à cet endroit.
  • Technologies et données. Les données sont la matière première du domaine géospatial. Des professionnels ayant une bonne culture spatiale peuvent, armés des bons outils, transformer ces données en renseignements exploitables. Il faut cependant faire attention de ne pas laisser la technologie proliférer au point d’être un fardeau à gérer et à tenir à jour. Pour des raisons d’efficacité, les entreprises ont besoin de cohérence dans les données et les technologies. Les dirigeants doivent s’atteler à mettre en œuvre des pratiques de collecte de données qui rendent les données de géolocalisation de haute qualité facilement accessibles à ceux qui en ont besoin et fournir des plateformes technologiques flexibles qui favorisent la convivialité et offrent une base d’outils communs. 
  • Facilitateurs organisationnels. L’intelligence et la technologie de pointe, c’est bien, mais il faut de la colle pour que la veille géographique puisse être possible à l’échelle nécessaire. On parle ici des processus et des comportements qui permettent à une entreprise de fonctionner sans heurts, que ce soit sa stratégie, sa gouvernance ou ses valeurs. L’entreprise qui sait y porter l’attention nécessaire saura transformer en une force organisationnelle la compétence des spécialistes en analyse géospatiale. Les trois éléments doivent être intégrés au calcul : une stratégie pour fixer l’orientation, une gouvernance pour aller dans la bonne direction et des valeurs qui font de la pensée spatiale un réflexe intrinsèque.

Le principe est d’apprendre tout en prenant de l’expansion. Malheureusement, une crise comme celle de la COVID-19 ne laisse pas la chance d’élaborer des plans et des programmes pilotes des mois ou des années durant. Les entreprises doivent apprendre et intégrer la pensée spatiale à un rythme éclair. Selon un sondage McKinsey, les entreprises les plus performantes ont réaffecté rapidement et en grande quantité les personnes spécialisées du domaine du numérique à d’autres unités ou postes internes. L’analyse géospatiale en fait partie aussi, étant un type de compétence numérique.

Certaines organisations ont déjà agi en ce sens. La Ville de Sarasota a, par exemple, rattrapé un retard important dans la collecte de données géospatiales en confiant le travail à du personnel non technique sous-utilisé ou inactif en raison de la COVID-19. On parle ici de personnes sans vraie formation en technologies géospatiales. Il a suffi d’un peu de formation et ils ont pu faire leur travail par la suite. Des personnes qui n’auraient autrement jamais été exposées aux technologies géospatiales ont ainsi profité de belles occasions d’apprendre. Elles sont également demeurées actives pendant le ralentissement provoqué par la pandémie et ont permis d’économiser des coûts d’externalisation considérables. C’est une situation avantageuse pour tous et c’est un excellent exemple de méthode simple et efficace pour enrichir les capacités numériques et géospatiales d’une organisation.


Sans une bonne connaissance de la géographie, les entreprises seront encore prises au dépourvu pour les prochaines crises, mais le monde ne peut se le permettre. Les organisations seront obligées de réagir avec des stratégies indifférenciées applicables partout qui ne fonctionneront au mieux que par pur hasard. Oui, les entreprises peuvent fonctionner et continueront de fonctionner, mais elles le feront grâce à la résilience et à l’héroïsme de personnes qui travaillent fort. Elles méritent un peu d’aide. Si la COVID-19 nous a enseigné quelque chose, c’est qu’un événement soudain peut tout changer. Si les entreprises ne sont pas préparées, les conséquences sont désastreuses. La veille géographique nous aide à comprendre notre monde et à créer des entreprises capables d’affronter les événements qui se produisent.

Vous souhaitez en savoir plus sur la veille géographique et sur la manière dont elle peut rendre une entreprise plus efficace? Pour en savoir plus, consultez notre site web.

Ce billet a été écrit en anglais par Matthew Lewin et peut être consulté ici.